de Enciclopedia universalis Clastra Pierre 1999
Histoire, culture et ethnocide
L’ethnocide, est-il admis, c’est la suppression des différences culturelles jugées inférieures et mauvaises, c’est la mise en œuvre d’un principe d’identification, d’un projet de réduction de l’Autre au même (l’Indien amazonien supprimé comme Autre et réduit au même comme citoyen brésilien). En d’autres termes, l’ethnocide aboutit à la dissolution du multiple dans l’Un. Qu’en est-il maintenant de l’État? Il est, par essence, la mise en jeu d’une force centripète, laquelle tend, lorsque les circonstances l’exigent, à écraser les forces centrifuges inverses. L’État se veut et se proclame le centre de la société, le tout du corps social, le maître absolu des divers organes de ce corps. On découvre ainsi, au cœur même de la substance de l’État, la puissance agissante de l’Un, la vocation de refus du multiple, la crainte et l’horreur de la différence. À ce niveau formel où nous nous situons actuellement, on constate que la pratique ethnocidaire et la machine étatique fonctionnent de la même manière et produisent les mêmes effets: sous les espèces de la civilisation occidentale ou de l’État se décèlent toujours la volonté de réduction de la différence et l’altérité, le sens et le goût de l’identique et de l’Un.
Quittant cet axe formel et en quelque sorte structuraliste pour aborder celui de la diachronie, de l’histoire concrète, considérons la culture française comme cas particulier de la culture occidentale, comme illustration exemplaire de l’esprit et du destin de l’Occident. Sa formation, enracinée dans un passé séculaire, apparaît strictement coextensible à l’expansion et au renforcement de l’appareil d’État, d’abord sous sa forme monarchique, ensuite sous sa forme républicaine. À chaque développement du pouvoir central correspond un déploiement accru du monde culturel. La culture française est une culture nationale, une culture du français. L’extension de l’autorité de l’État se traduit dans l’expansionnisme de la langue de l’État, le français. La nation peut se dire constituée, l’État se proclamer détenteur exclusif du pouvoir lorsque les gens sur qui s’exerce l’autorité de l’État parlent la même langue que lui. Ce processus d’intégration passe évidemment par la suppression des différences. C’est ainsi qu’à l’aurore de la nation française, lorsque la France n’était que la Franchimanie et son roi un pâle seigneur du nord de la Loire, la croisade des Albigeois s’abattit sur le sud pour en abolir la civilisation. L’extirpation de l’hérésie cathare, prétexte et moyen d’expansion pour la monarchie capétienne, traçant les limites presque définitives de la France, apparaît comme un cas pur d’ethnocide: la culture du Midi – religion, littérature, poésie – était irréversiblement condamnée, et les Languedociens devinrent sujets loyaux du roi de France.
La Révolution de 1789, en permettant le triomphe de l’esprit centraliste des Jacobins sur les tendances fédéralistes des Girondins, mena à son terme l’emprise politique de l’administration parisienne. Les provinces, comme unités territoriales, s’appuyaient chacune sur une ancienne réalité, homogène du point de vue culturel: langue, traditions politiques, etc. On leur substitua le découpage abstrait en départements, propre à briser toute référence aux particularismes locaux, et donc à faciliter partout la pénétration de l’autorité étatique. Ultime étape de ce mouvement par lequel les différences s’évanouissent l’une après l’autre devant la puissance de l’État: la IIIe République transforma définitivement les habitants de l’Hexagone en citoyens grâce à l’institution de l’école laïque, gratuite et obligatoire, puis du service militaire obligatoire. Ce qui subsistait d’existence autonome dans le monde provincial et rural y succomba. La francisation était accomplie, l’ethnocide consommé: langues traditionnelles traquées en tant que patois d’arriérés, vie villageoise ravalée au rang de spectacle folklorique destiné à la consommation des touristes, etc.
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